Crédit photo :  Vincent Ferrané

« La douleur c’est aussi quelque chose qu’on ne se représente pas, et qu’on ne représente pas. Je vais chez mon médecin, je décris. Il imagine, mais sans image, même l’imagerie technique ne montre pas la douleur. Elle montre son apparat, son apanage, tout au plus. Lui il conceptualise. Son boulot c’est aussi d’évaluer, d’apprécier. Nature, durée, longueur (mais ce n’est pas non plus une longueur d’onde qu’on pourrait chiffrer). Localisation, si possible. Intensité. Et quand il a tout entre ses mains, mon médecin, il n’en reste pas moins qu’il ne tient pas ma douleur dans le creux de ses paumes, et qu’elle reste ma douleur.

Comme on dirait : c’est mon secret.

Et si tu souffres en continu, douloureux·se chronique, c’est ton secret que tu t’échines à crier, à expliquer, à expulser, et que personne n’entend, ne ressent, ne comprend. Si tu n’as pas de trace à montrer ce pourrait être une fiction.

Biographie

Rose Vidal est artiste, autrice et critique d’art et de littérature (AOC média, L’Esprit Critique sur Mediapart). Elle publie en 2022 son premier essai, Chaplin, aux Editions les Pérégrines. Artiste painkiller, « mercenaire antidouleur », Rose Vidal se propose d’imaginer l’art comme une fabrique d’antidouleurs plastiques, pour éprouver le pari d’une fonction curative ou palliative des oeuvres. Ce projet a fait l’objet d’une résidence artistique à la Villa Médicis à l’automne 2023 et continue de se déployer en une série d’œuvres plastiques, textuelles et performées. Un premier roman à paraître, Drama doll (Editions Gallimard, mars 2025), constitue une matrice narrative et manifeste. La recherche plastique de l’artiste s’articule à partir de ces récits de la douleur, pour proposer des œuvres à la lisière du design : il s’agit toujours d’employer la fiction à l’extension et l’assouplissement de nos usages quotidiens du monde.