L’intraitable beauté de nos vies sauvages #2
RENDEZ-VOUS, Sous-sol
30 octobre 2021 – 30 janvier 2022
L’exposition présentée à la Collection Lambert dans le cadre du programme Rendez-vous, Sous-sol, constitue le second volet du projet intitulé L’intraitable beauté de nos vies sauvages, initié en 2020 au FRAC Réunion. Il s’envisage comme le récit à la fois réel et fantasmé d’une vie faite d’allers-retours entre le territoire insulaire des origines, son histoire et un continent européen pensé, non pas comme le passage obligé de l’épanouissement, mais comme une caisse de résonance des questionnements sur une/des identité(s) multiple(s), hybride(s) et mutante(s).
Ce n’est en effet qu’une fois éloignée de son île natale que l’artiste se replonge dans les souvenirs d’une enfance où la mémoire des sensations, des relations avec les êtres et les éléments de la nature, s’inscrit dans une confrontation sensible avec les perturbations naturelles qui rythment le quotidien des insulaires. Cyclones, éruptions et séismes constituent la clef de voûte d’une identité qui se construit au gré du chaos annoncé et des gestes répétés par les parents pour que la vie poursuive son cours. Une mère qui remplit inlassablement la baignoire pour y stocker l’eau potable, un père qui étudie la construction de la maison familiale afin que celle-ci résiste dans la catastrophe ; autant de manières de faire face qui se déploient à travers le monde des îles et des zones soumises aux risques naturels et que rappellent les pages — de l’autre côté du monde, en bordure de l’océan Atlantique — du célèbre Bois sauvage de Jesmyn Ward.
Dans les salles du sous-sol de la Collection Lambert totalement coupées du monde réel et baignées d’une lumière artificielle qui rappelle L’Odyssée de l’espace tel que l’a filmé Stanley Kubrick, se construit un parcours où se mêlent l’intime et l’universel : la terre s’effondre d’une table d’hôtes au rythme de l’activité sismique du monde, une baignoire se remplit à l’annonce des cyclones à venir, des pierres volcaniques envahissent le sol sur des planches mouvantes pour exposer le rapport de l’artiste — le nôtre — à l’espace et au temps dans des territoires naturels et fragiles où la beauté est aussi intraitable que la violence des éléments. Le marbre fait son irruption dans la pratique de l’artiste pour constituer autant de paysages archéologiques et d’assemblages d’objets précieux figurant quantité d’offrandes et d’objets destinés au recueillement. Ils partagent l’espace avec des vidéos d’ascension du volcan ou de coulées de laves incandescentes et des installations faites de bijoux mimant les chaînes des esclaves ou de flacons de verre enfermant la vie des océans comme les parfums des maisons de luxe à la beauté suspecte.
Tous racontent avec une audace inouïe la tension latente dans la relation qu’entretient l’individu avec un territoire créole auquel il se confronte. Ils rappellent l’agression première, l’acculturation forcée, la violence du déracinement. Mais dans un geste poétique fait d’appropriations savantes et de détournements sauvages, Stéphanie Brossard impose la déconstruction des récits communs, la créolisation des formes et des pensées, seule manière d’inventer l’identité et la culture à venir.
Telle est l’errance violente du poème.
Commissaire d’exposition : Stéphane Ibars