Brice Marden, 1938 – 2023

Yvon Lambert, Brice Marden et Mirabelle

Une Histoire intime de l’art © Collection Lambert 2023

C’est avec beaucoup de tristesse que l’équipe de la Collection Lambert a appris le décès de Brice Marden, à 84 ans, le 9 août dernier. En son honneur, nous avons souhaité partager ces paroles d’Yvon Lambert à son propos, issues du catalogue de l’exposition de sa collection au Yokohama Museum of Art en 1998. Yvon Lambert se remémore son amitié avec ce grand artiste.

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Yvon Lambert,

C’est en 1988 que j’ai vu pour la première fois des œuvres de Brice Marden. C’était à New York, dans une galerie qui n’existe plus maintenant, la Bykert Gallery. Il y exposait des toiles faites de pans monochromes et des magnifiques œuvres sur papier qui représentaient la genèse de son travail depuis 1964. J’avais été impressionné par la délicatesse et la finesse de cette exposition parfaitement liée à l’univers pictural que je défendais. Comme il était très facile de rencontrer les artistes sans prendre rendez-vous, je décidai de me rendre à son atelier. Le garçon était à l’image de son travail, élégant, discret et très raffiné, même sous ses apparences très “country style”, avec ses bottes, son blue jean et son chapeau aussi bien porté que Gary Cooper dans les meilleurs westerns. Dès l’année suivante, notre première collaboration débuta par une superbe exposition dans ma galerie, qui venait juste après celle de Richard Long et celle de Robert Ryman. 

Pendant tout le début des années 70, je le revis alors très régulièrement à chacun de mes séjours à New York. Il me présentait les artistes qu’il aimait, m’organisait des dîners afin que je connaisse son cercle d’amis formé de poètes et de musiciens. C’est là notamment que je rencontrai Phil Glass qui vint parfois ensuite dans ma galerie lors de ses premiers concerts parisiens. Pour sceller cette belle amitié, au cours d’un de ces chaleureux dîners en 1972. Brice m’offrit ce dessin noir sur fond blanc exposé ici, une des œuvres qui m’émeut toujours avec autant de bonheur. 

J’aimais aussi rester de longues heures avec lui dans son atelier, car dans ce grand loft très paisible et très lumineux, je pouvais mieux encore comprendre son travail. J’y découvris par exemple ses outils archaïques, faits de brindilles et rappelant parfois des pinceaux japonais, qu’il utilisait pour atteindre une telle subtilité ; j’y perçus surtout la lenteur avec laquelle il entreprenait chaque œuvre. Brice note souvent au dos de ses dessins leurs dates de commencement et d’achèvement : plusieurs années en effet sont toujours nécessaires pour qu’il considère avoir obtenu, en repassant inlassablement des couches de graphite sur son support, un noir parfait. Il y a deux ans, j’ai revu d’ailleurs dans son atelier toute une série sublime d’œuvres sur papier qui allait être présentées dans le pavillon international de la dernière Biennale de Venise. Je les avais déjà observées en gestation depuis 1974. A partir d’images de sculptures grecques et crétoises, il avait créé des variations minimales d’une élégance qui fait perdre toute idée de temporalité. L’adéquation était totale entre ces images millénaires, hiératiques et son intervention d’une telle modernité. 

Enfin, je ne peux évoquer Brice sans citer l’une des pièces majeures de ma collection qui n’est pas présentée ici car elle n’entre pas dans la thématique choisie. Il s’agit d’un triptyque Mur chez Lambert fait de panneaux peints à l’huile et à la cire. Il fut spécialement réalisé pour mon ancien appartement de la rue Servandoni. En 1974, Brice avait choisi un espace et peint cette œuvre chez moi avant d’encastrer le triptyque aux dimensions du mur. Tant de couches de matières picturales passées si délicatement pendant plusieurs semaines ont été nécessaires pour donner cette transparence inouïe, afin que la lumière change à chaque instant, selon l’endroit où l’on se place pour regarder ce mur aux couleurs grises, brunes et vertes. Après l’installation de son exposition dans ma galerie, il vécut donc chez moi près d’un mois et chaque jour, après ma journée de travail, j’y remontais, attiré par l’odeur si entêtante de la peinture, et en sachant également que Brice m’emmènerait ensuite dîner dehors… 

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📸 1/ Yvon Lambert, Brice et Mirabelle Marden photographiés par Ugo Ferranti. Galerie rue du Grenier-Saint-Lazare, Paris, 1978. @archiviougoferrantigallery

2/ A gauche : Green distorted square circle, 1971, Robert Mangold. A droite : Mur chez Lambert, 1973, Brice Marden @ Adagp, Paris, 2023. Vue de l’exposition « La peinture est morte, vive la peinture ! ». Donation Yvon Lambert en 2012 / Collection Centre national des arts plastiques en dépôt à la Collection Lambert / Photo @collection_lambert 

✏️ Texte extrait du catalogue de l’exposition « La collection Yvon Lambert. Dialogue avec des artistes contemporains, œuvres sur papier et photographies », Yokohama Museum of Art, 11 avril – 21 juin 1998.

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